Droit administratif | Collaborateur occasionnel du service public de la police judiciaire | Compétence du juge administratif (Oui) | Dysfonctionnement du service public de la police judiciaire (Non) | Préjudice | Réparation | Responsabilité administrative | Responsabilité sans faute de l'Etat (Oui) | Service public | Transport | Usager | Violences
Cour administrative d’appel de NANTES, 24 février 2023, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice c/ M. L. et Société d'économie mixte des Transports en commun de l'Agglomération NANTAISE (SEMITAN), Req. n° 21NT03700
Un chauffeur de bus, tentant d'interpeller l'auteur d'une agression à l'encontre d'un usager d’un service de transport, doit être regardé comme étant intervenu en qualité de collaborateur occasionnel du service public de la police judiciaire.
L'action tendant à engager la responsabilité de l'Etat pour obtenir réparation des préjudices qu’un usager a subis en qualité de collaborateur occasionnel du service public de la police judiciaire ne conduit pas le juge à réparer les dommages causés par le fonctionnement du service public de la police judiciaire, mais à indemniser le collaborateur des préjudices résultant de sa participation à l'exécution de ce service public.
Dès lors, un tel litige relève de la compétence du juge administratif. Il s’agit d’un cas de responsabilité sans faute.
En l’espèce, le 6 février 2017 à Nantes, un conducteur de bus de la société d'économie mixte des transports en commun de l'agglomération nantaise (SEMITAN), a été victime de blessures aux deux mains en tentant d'interpeller un homme qui venait de commettre une agression. Par un jugement rendu le 9 juin 2017, le tribunal correctionnel de Nantes a relaxé le prévenu des faits de violence suivie d'incapacité supérieure à 8 jours en récidive à l'encontre de du chauffeur de bus et a en conséquence débouté ce dernier et la SEMITAN de leur action civile. La SEMITAN et le chauffeur de bus recherchent la responsabilité de l'Etat au titre de l'intervention du chauffeur de bus en qualité de collaborateur occasionnel du service public ayant consisté à se lancer à la poursuite de l'auteur de violences commises sur la voie publique à l'encontre d'un tiers. Par une ordonnance du 10 janvier 2018, le juge des référés du tribunal administratif a désigné un expert qui a remis son rapport le 22 mai 2018. Le chauffeur de bus et la SEMITAN ont formé le 10 juillet 2018 un recours indemnitaire préalable, qui a été rejeté implicitement par le Ministre de l'Intérieur et le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice. Par un jugement du 28 octobre 2021, le tribunal administratif a condamné l'Etat à réparer les préjudices résultant de l'intervention spontanée du chauffeur de bus en l'indemnisant à hauteur de 3897,37 € et la SEMITAN à hauteur de 1626,31 €. Le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, interjette appel de ce jugement. Par la voie de l'appel incident, le chauffeur de bus et la SEMITAN demandent à la cour de majorer les sommes qui leur ont été allouées au titre du déficit fonctionnel temporaire et des souffrances endurées par le chauffeur de bus.
La cour administrative d’appel a jugé :
En premier lieu sur l’appel principal que le chauffeur de bus, en tentant d'interpeller l'auteur d'une agression à l'encontre d'une usagère de la SEMITAN, doit être regardé, alors même qu'il a agi sans y avoir été invité par les services de police, comme étant intervenu en qualité de collaborateur occasionnel du service public de la police judiciaire. L'action introduite par le requérant tendant à engager la responsabilité de l'Etat pour obtenir réparation des préjudices subis en cette qualité à l'occasion de sa participation à une opération de police judiciaire ne conduit pas le juge à réparer les dommages causés par le fonctionnement du service public de la police judiciaire, mais à indemniser le collaborateur des préjudices résultant de sa participation à l'exécution de ce service public. Dès lors, un tel litige ressortit à la compétence du juge administratif, alors même que l'intervention d'un tel collaborateur occasionnel se rattache à une opération de police judiciaire. Il s'ensuit que le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, n'est pas fondé à demander l'annulation, comme entaché d'irrégularité, du jugement attaqué par lequel le tribunal administratif a jugé que le litige dont il était saisi relevait de la compétence de la juridiction administrative.
En deuxième lieu, sur les conclusions d'appel incident que la responsabilité sans faute de l'Etat, dont le principe n'est pas contesté par le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, dans sa requête d'appel, doit être engagée à l'égard du chauffeur de bus et de la SEMITAN, son employeur, en réparation des préjudices résultant de son intervention, le 6 février 2017, en qualité de collaborateur occasionnel de service public de la police judiciaire.
Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise, que la lutte à laquelle a donné lieu l'intervention spontanée du chauffeur de bus pour retenir l'auteur de l'agression d'une usagère du service de transport en commun lui a causé un déficit fonctionnel temporaire partiel de 25 % pour la période du 6 février 2017 au 27 mars 2017, puis un déficit fonctionnel partiel de 10 % du 28 mars 2017 au 17 juillet 2017, veille de la date de consolidation. Dans ces conditions, il sera fait une équitable appréciation de ce préjudice en le chiffrant à la somme globale de 351,75 € retenue à bon droit par les premiers juges.
Il résulte par ailleurs de l'expertise judiciaire que l'intervention le 6 février 2017 du chauffeur de bus lui a occasionné, outre une lésion à l'épaule, des fractures de phalanges de ses deux mains ayant nécessité une syndactylisation, des séances de kinésithérapie et un traitement antalgique. L'expert judiciaire a évalué l'intensité des souffrances endurées résultant de cet évènement entre légère et modérée. Il sera fait une équitable appréciation de ce chef de préjudice en l'indemnisant à hauteur de la somme de 3200 € retenue à bon droit par les premiers juges.
Il résulte de ce qui précède que le chauffeur de bus et la SEMITAN ne sont pas fondés à demander la majoration des sommes qui leur ont été allouées par les premiers juges.
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