Droit administratif | Délai de 3 ans | Délai raisonnable | Libération des liens d’allégeance | Nationalité | Notification | Obligation d'informer le justiciable sur les voies et les délais de recours | Perte de la nationalité française | Principe de sécurité juridique | Situation consolidée par l’effet du temps
Conseil d’Etat, 20 mars 2023, Mme R. c/ Ministre de l’Intérieur et des Outre-Mer, Req. n° 467580
Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. S'agissant d'un décret de libération des liens d'allégeance, ce délai ne saurait, eu égard aux effets de cette décision, excéder, sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, trois ans à compter de la date de publication du décret ou, si elle est plus tardive, de la date de la majorité de l'intéressé.
En l’espèce, il ressort des pièces du dossier que le père de la justiciable a demandé, le 15 janvier 1976, l'autorisation de perdre la qualité de Français pour lui-même et ses enfants mineurs et majeurs. Sur cette demande, par un décret du 19 octobre 1976 publié au Journal Officiel le 27 octobre suivant, la justiciable a été libérée de ses liens d'allégeance avec la FRANCE.
Il ressort des pièces du dossier que la justiciable, à laquelle le décret du 19 octobre 1976 portant libération des liens d'allégeance avec la France n'a pas été notifié, n'a été informée de son existence qu'à la suite d'un courrier du ministère de l'intérieur en date du 8 février 2022. Il n'est pas contesté que l'intéressée, qui vit en France, s'est vu délivrer, à plusieurs reprises, des pièces d'identité françaises ainsi qu'un certificat de nationalité française et qu'elle n'a jamais cessé d'être regardée comme Française, en particulier dans ses relations avec les administrations de l'Etat et des collectivités territoriales. En conséquence, au regard des circonstances particulières dont se prévaut la justiciable, la requête de l'intéressée, contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur, est recevable.
Il ressort également des pièces du dossier que si le père de la requérante a sollicité le 15 janvier 1976 l'autorisation de perdre la qualité de Français pour lui-même et ses enfants mineurs et majeurs, la justiciable, née le 5 octobre 1963, était âgée de moins de seize ans à la date du décret contesté du 19 octobre 1976. Le Premier ministre ne pouvait donc légalement, à cette date, autoriser la justiciable à perdre la nationalité française qu'au vu d'une demande présentée par ses deux parents. Or, il n'est contesté ni que la mère de la justiciable exerçait, au moment des faits, l'autorité parentale au sens de l'article 372 du code civil conjointement avec le père de la requérante, ni qu'elle n'a pas signé la demande de libération des liens d'allégeance, la circonstance qu'un rapport de police établi lors de l'instruction affirme qu'elle est à l'origine de la demande ne permettant pas, en tout état de cause, de suppléer à cette carence. Il résulte de ce qui précède que la justiciable est fondée à demander l'annulation du décret du 19 octobre 1976 en ce qu'il porte libération de ses liens d'allégeance avec la FRANCE.
Avocat Droit Administratif
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