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Sur l’exigence de probité et de loyauté dans la police nationale…

Fonction publique | Changement d’affectation dans l’intérêt du service | Corruption | Déontologie | Devoir d’exemplarité | Discipline | Disproportion de la sanction par rapport à la faute (Non) | Enquête administrative | Enquête pénale ou judicaire | Exclusion temporaire | Faits matériellement établis | Faute | Police nationale | Manquement à la loyauté | Manquement à la probité | Méconnaissance de la présomption d’innocence (Non) | Méconnaissance du principe de non-cumul des sanction (Non) | Négligences professionnelles | Rôle du Ministère public | Sanction | Suspension de l’habilitation d’officier de police judiciaire


Cour administrative d’appel de TOULOUSE, 21 février 2023, M. C. c/ Ministre de l’intérieur et Outre-mer, Req. n° 21TL00421


En premier lieu, aux termes de l'article 11-2 du code de procédure pénale : "I.- Le ministère public peut informer par écrit l'administration des décisions suivantes rendues contre une personne qu'elle emploie, y compris à titre bénévole, lorsqu'elles concernent un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement :/ 1° La condamnation, même non définitive ;/ 2° La saisine d'une juridiction de jugement par le procureur de la République ou par le juge d'instruction ;/ 3° La mise en examen./ Le ministère public ne peut procéder à cette information que s'il estime cette transmission nécessaire, en raison de la nature des faits ou des circonstances de leur commission, pour mettre fin ou prévenir un trouble à l'ordre public ou pour assurer la sécurité des personnes ou des biens (...)/ II.- Dans tous les cas, le ministère public informe sans délai la personne de sa décision de transmettre l'information prévue au I. L'information est transmise à l'administration (...)./ Le ministère public notifie sans délai à l'administration (...) l'issue de la procédure et informe la personne concernée de cette notification./ L'administration (...) qui est destinataire de l'information prévue au même I ne peut la communiquer qu'aux personnes compétentes pour faire cesser ou suspendre l'exercice de l'activité mentionnée aux premier et dernier alinéa du même I./ Cette information est confidentielle. Sauf si l'information porte sur une condamnation prononcée publiquement et sous réserve de l'avant-dernier alinéa du présent II, toute personne qui en est destinataire est tenue au secret professionnel (...)".


En l’espèce, un brigadier-chef de la police nationale, a demandé au tribunal administratif d'annuler la décision du 11 juin 2018 par laquelle le Ministre de l'Intérieur a prononcé à son encontre une sanction d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de trois mois, dont deux mois avec sursis…


D’une part, le brigadier-chef soutient que le ministère public a méconnu les dispositions citées au point précédent en transmettant des informations et éléments de l'enquête judiciaire alors qu'aucune poursuite n'était encore entreprise à son encontre ou à l'encontre de son subordonné et qu'il n'a jamais reçu l'information sur la transmission du dossier d'enquête à l'autorité administrative. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que le subordonné du le brigadier-chef en question, déféré devant le procureur de la République le 11 janvier 2017, a été convoqué à une prochaine audience du tribunal correctionnel. Par suite, le ministère public a pu informer l'administration, en application des dispositions précitées, de la saisine d'une juridiction de jugement à propos d'une personne qu'elle employait. En outre, à la supposer même avérée, la méconnaissance par le ministère public de l'article 11-2 du code de procédure pénale, est par elle-même sans incidence sur la régularité de la procédure disciplinaire et, par suite, sur la légalité de la sanction contestée alors que le requérant ne démontre par ailleurs pas en quoi une telle méconnaissance aurait affecté ses droits ou l'aurait privé d'une garantie.


D'autre part, si le brigadier-chef sanctionné allègue que l'administration aurait utilisé des éléments de l'enquête judiciaire pour nourrir sa propre enquête, il ne l'établit pas en se bornant à faire état de certaines questions posées au cours des auditions administratives ou de rapports qui ne font pas partie de la procédure judiciaire et il ne peut par ailleurs utilement invoquer l'irrégularité, pour s'être fondée sur des éléments de l'enquête judiciaire, de l'enquête administrative préalable, qui s'est déroulé au mois de janvier 2017, soit avant l'engagement de la procédure disciplinaire en litige et qui est indépendante de celle-ci.


En deuxième lieu, aux termes de l'article 66 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984, dans sa rédaction applicable à l'espèce : "Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. / (...) Troisième groupe :/ - la rétrogradation ;/ - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de trois mois à deux ans./ (...) L'exclusion temporaire de fonctions, qui est privative de toute rémunération, peut être assortie d'un sursis total ou partiel. Celui-ci ne peut avoir pour effet, dans le cas de l'exclusion temporaire de fonctions du troisième groupe, de ramener la durée de cette exclusion à moins de un mois. (...)". L'article R. 434-2 du code de la sécurité intérieure dispose : "Placées sous l'autorité du ministre de l'intérieur pour l'accomplissement des missions de sécurité intérieure et agissant dans le respect des règles du code de procédure pénale en matière judiciaire, la police nationale et la gendarmerie nationale ont pour mission d'assurer la défense des institutions et des intérêts nationaux, le respect des lois, le maintien de la paix et de l'ordre publics, la protection des personnes et des biens./ Au service des institutions républicaines et de la population, policiers et gendarmes exercent leurs fonctions avec loyauté, sens de l'honneur et dévouement. (...)". En vertu de l'article R. 434-4 du même code : "(...) II. - Le policier ou le gendarme porte sans délai à la connaissance de l'autorité hiérarchique tout fait survenu à l'occasion ou en dehors du service, ayant entraîné ou susceptible d'entraîner sa convocation par une autorité de police, juridictionnelle, ou de contrôle."L'article R. 434-9 de ce code dispose : "Le policier ou le gendarme exerce ses fonctions avec probité./ Il ne se prévaut pas de sa qualité pour en tirer un avantage personnel (...)/ Il n'accepte aucun avantage ni aucun présent directement ou indirectement lié à ses fonctions ou qu'il se verrait proposer au motif, réel ou supposé, d'une décision prise ou dans l'espoir d'une décision à prendre (...) ". Aux termes de l'article R. 434-12 dudit code : "Le policier ou gendarme ne se départ de sa dignité en aucune circonstance./ En tout temps, dans ou en dehors du service (...) il s'abstient de tout acte, propos ou comportement de nature à nuire à la considération portée à la police nationale et à la gendarmerie nationale. Il veille à ne porter, par la nature de ses relations, aucune atteinte à leur crédit ou à leur réputation."


Il incombe à l'autorité investie du pouvoir disciplinaire d'apporter la preuve de l'exactitude matérielle des griefs sur le fondement desquels elle inflige une sanction à un agent public. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.


En l’espèce, la décision d'exclusion temporaire de fonctions en litige du 11 juin 2018 relève que le brigadier-chef a manqué à ses devoirs d'exemplarité, de discernement, de loyauté, d'encadrement et de compte rendu hiérarchique au regard de son positionnement, qu'il a fait preuve de négligences professionnelles et a manqué à l'obligation de se consacrer en service à l'exercice de ses fonctions, enfin, que les faits reprochés ont été également de nature à porter atteinte au crédit et au renom de la police nationale. Il ressort des pièces du dossier que, le 18 octobre 2016, lors du contrôle routier d'un livreur de sushis de l'enseigne [Anonymisation], le brigadier-chef est resté passif alors qu'un agent placé sous ses ordres a laissé entendre au livreur qu'il ne le verbalisait pas mais passerait le voir à son restaurant. Le 24 octobre 2016, le même agent s'est fait remettre gratuitement deux plateaux de sushis que les policiers de la brigade placée sous les ordres du brigadier-chef ont ensuite consommés. Puis, dans le courant du mois de novembre 2016, alors que cette brigade était chargée de vérifier le respect des horaires de fermeture de l'établissement [Anonymisation], le brigadier-chef et ses collègues n'ont pas verbalisé le non-respect des horaires de fermeture de cet établissement, et ont accepté l'invitation du gérant à consommer une boisson sur place. En décembre 2016, à la suite d'un contrôle routier pour excès de vitesse à l'encontre d'un livreur de pizzas, le brigadier-chef n'a pas verbalisé le conducteur, et s'est ensuite rendu avec ses collègues à l'adresse de la pizzeria où il s'est vu offrir une pizza, partagée avec son équipage. Enfin, pendant la même période, le brigadier-chef et ses collègues se sont rendu à plusieurs reprises lors de leur service, en tenue et sans motif professionnel, dans un autre établissement de nuit dénommé [Anonymisation], où ils ont consommé des cafés offerts par le gérant. La matérialité de ces faits est suffisamment établie par les procès-verbaux d'audition conduits pendant l'enquête administrative et par plusieurs attestations, dont celle du gérant et des employés de [Anonymisation], ainsi que par une note du chef de circonscription de [Anonymisation] du 13 janvier 2017 faisant état d'éléments communiqués par le brigadier-chef de manière informelle, en marge de son audition dans le cadre de la procédure judiciaire. Ni l'attestation du gérant de l'établissement [Anonymisation] mentionnant qu'il a offert des boissons non alcoolisées à l'équipage de police, que ce dernier n'avait rien demandé en contrepartie et qu'il est demeuré quinze minutes dans le sas d'entrée de l'établissement, ni celle du gérant de la société exploitant la pizzéria indiquant qu'il a offert, sans demande du brigadier-chef une pizza qui restait en fin de service, ne sont de nature à remettre en cause cette matérialité.


Il résulte des faits rappelés au point précédent que le brigadier-chef qui a fait preuve d'une grande passivité devant le comportement d'un de ses subordonnés dont il n'ignorait pas le caractère répréhensible, a notamment manqué à ses obligations de loyauté, d'information de l'autorité hiérarchique sur des faits survenus à l'occasion du service ainsi qu'à son devoir de probité. Les faits reprochés ont également été de nature à nuire à la considération portée à la police nationale. Ainsi, ils constituent une faute de nature à justifier une sanction. Si le brigadier-chef se prévaut d'un parcours exemplaire lui ayant permis d'obtenir une médaille d'honneur et de nombreuses lettres de félicitations, la nature et la gravité des manquements reprochés à l'intéressé justifient en l'espèce la sanction prononcée à son encontre, laquelle ne revêt pas un caractère disproportionné.


En troisième lieu, si le brigadier-chef persiste à soutenir en appel qu'il n'est pas responsable des faits de corruption passive pour lesquels seul son subordonné a été poursuivi et jugé, la décision attaquée est exclusivement fondée sur des faits personnellement reprochés au requérant, en particulier des manquements à ses devoirs d'encadrement et d'information de sa hiérarchie. La procédure disciplinaire et la décision contestée ne sont pas davantage fondées sur le courriel du commissaire de police [Anonymisation] en date du 12 janvier 2017, qui n'était d'ailleurs pas, contrairement à ce qui est soutenu, membre de la commission administrative paritaire siégeant en formation disciplinaire. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de la présomption d'innocence et du principe de personnalité des peines doit être écarté.


En quatrième et dernier lieu, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision d'affecter le brigadier-chef en brigade de jour en février 2017 aurait eu un autre motif que celui tiré de l'intérêt du service. Il ressort ensuite des éléments produits par le requérant que les refus de jours de repos qui lui ont été opposés, sont motivés par l'insuffisance des effectifs et l'intérêt du service, l'intéressé n'apportant aucun élément de nature à justifier que ces refus seraient fondés sur un autre motif. Enfin, la décision du procureur de la République de suspendre le brigadier-chef de son habilitation d'officier de police judiciaire pendant un mois en septembre 2017 ne constitue pas une décision administrative. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance du principe de non-cumul des sanctions administratives doit être écarté.


Il résulte de tout ce qui précède que le brigadier-chef concerné n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté ses conclusions à fin d'annulation.


Commentaire : Le brigadier-chef s’en tire bien en l'espèce, en dépit de la sanction du troisième groupe infligée. Il faut savoir que dans la police nationale, on ne fait pas cadeau lorsqu’il s’agit de sanctionner de tels faits. Les sanctions sont beaucoup plus sévères d’habitude pour de tels faits puisque souvent l'agent est révoqué ou mis à la retraite d'office (sanction du quatrième groupe).



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